Vélo et société Publié le 20 avril 2025

« J’ai toujours peur que le tissu se coince dans les rayons » : Pourquoi la mode féminine ne joue pas en faveur du vélo ?

Pour beaucoup de femmes cyclistes, chaque jour, un défi s’impose : celui d’être à la pointe de la mode sans risquer l’accident. Si historiquement les stylistes s’intéressaient à la pratique du vélo, l’industrie ne semble plus passionnée par les tracas quotidiens des cyclistes.

© Faruk Tokluoglu / Canva

« Attends-moi, il y a mon pantalon coincé dans ma selle ». Chaque femme habituée au vélo en ville a forcément déjà prononcé – ou du moins entendu cette phrase. Avec la mode des jeans « pat def », et autres modèles « flair », de nombreuses cyclistes peinent à s’habiller comme elles le veulent sans risquer l’accident. « Les pantalons qui se coincent dans la chaine, c’est dangereux. Et puis ça les abime et ça les tâche », confirme Camille, une cycliste lyonnaise. Pour Julie, une habituée du vélotaf parisien, ce n’est pas le seul tracas possible : « Avec mon manteau long, j’ai toujours peur que le tissu se coince dans les rayons ».

Des exemples, chaque cycliste en aura. Toutes s’interrogeront, chaque matin, pour savoir si leur tenue est réellement adaptée à leurs multiples déplacements. Audrey, par exemple, n’ose plus porter de talons à vélo. « Sinon ils dérapent sur la pédale et on finit par se taper le mollet ». « Moi je ne porte plus de jupes à vélo, ni de trench », tranche Capucine, très vite rejointe par Lise. « La jupe qui s’envole quand on monte sur la selle, c’est vraiment embêtant ». Certes, ces problématiques semblent peut-être matérialistes, voire secondaires, mais elles traduisent un certain désintérêt du secteur du vélo pour la pratique féminine. « L’univers du vélo, c’est toujours très masculin », soufflera une des interrogées.

La mode et le vélo, une histoire commune

© Palais Galliera, musée de la Mode de Paris

Pourtant, un lien important a toujours existé entre la mode féminine et le vélo. Celui-ci a même participé à l’émancipation des femmes dès la fin du 19ème siècle. C’est ce que résume Marie-Laure Gutton, commissaire de l’exposition « La mode en mouvement » au Palais Galliera*. « Dans les années 1870, quand la bicyclette devient de plus en plus populaire dans la société, les femmes ne portaient que des jupes ». Sarah Bernard n’avait pas encore cassé les codes de l’habillement et le pantalon reste formellement interdit aux femmes. Les cyclistes, pas franchement convaincues par les jupes à vélo, envisagent alors de piocher quelques solutions dans le placard masculin. « Elles ont préféré le vêtement bifide, c’est-à-dire en deux parties. C’est l’arrivée de la culotte et de la jupe culotte », précise Marie-Laure Gutton. Qui ajoute : « Le port d’un vêtement plus adapté à la pratique sportive a beaucoup participé à l’émancipation féminine ».

Un phénomène assez mal vu dans la presse. La jupe culotte est même comparée aux pantalons des tirailleurs, les zouaves. « Il est certain qu’il existe […] des points d’analogie entre le zouave et la petite pédaleuse : l’un et l’autre font de graves blessures à l’ennemi », écrit La Lanterne en 1895. Certains médecins tentent même d’alerter sur le risque que pourrait avoir le vélo sur la santé reproductive des femmes. Qu’importe ces considérations, les « cyclewomen » ne sont pas prêtes à lâcher leurs bicyclettes et sont même soutenues par la mode.

L’engouement des créateurs

« Des fournisseurs vont créer des modèles pour de nouvelles clientes car un besoin se met en place. Les grands créateurs, les grands magasins, tout le monde va proposer des modèles spécifiques », raconte Marie-Laure Gutton. Parmi eux, le couturier Paul Poiret va populariser le port de la jupe-culotte en ville. Des marques aussi, à l’instar de Standt et Laborde mettent au point leur propre jupe culotte et sont décrits dans Raquette en 1897 comme « les heureux inventeurs de la fameuse jupe-culotte que toutes les cyclistes soucieuses d’être à la fois correctes et élégantissimes, ont depuis longtemps adoptée ».

Cet intérêt du milieu de la mode pour la bicyclette n’est pas étonnant pour Marie-Laure Gutton. « Il y a une forte démocratisation du vélo qui devient un vrai mode de transport pour une très grande partie de la population, surtout à partir de la Seconde Guerre mondiale ». Si l’engouement pour le vélo est toujours d’actualité, d’autant plus depuis la fin du confinement, l’intérêt de la mode pour le secteur semble plus distant qu’autrefois.

« Le vélo nous avait fait arrêter de porter des jupes » 

C’est ce que regrette la plupart des cyclistes interrogées plus tôt. « Il devrait y avoir plus d’innovations abordables et stylées pour permettre aux femmes cyclistes d’envisager sereinement leur trajet sans prévoir une tenue de rechange », espère Laura, une Lilloise plus que fidèle à son vélo. Pour Marie-Laure Gutton, il y a certes moins d’innovations qu’au XXe siècle, mais les vêtements restent plus pratiques, les jupes moins lourdes et moins longues, les T-shirts amples ont remplacé les corsets bien serrés. « Avant, il y avait davantage un besoin de trouver un vêtement modulable », compare la commissaire de l’exposition du palais Galliera. 

Pour les femmes, la galère de s’habiller à velo. © Suzon et Suzette

Certaines marques tentent tout de même d’émerger pour faciliter la vie des cyclistes au quotidien. C’est le cas de « Suzon et Suzette », une entreprise lancée il y a plus d’un an. Convaincue qu’on peut associer mode et vélo, sa co-fondatrice Laetitia Cros souhaitait créer des accessoires « astucieux » et « adaptés à tous ». « Il y a quatre ans, avec mon associée, nous étions salariées dans un tout autre secteur et nous utilisions notre vélo quotidiennement. Nous avions fait un constat : Le vélo nous avait fait arrêter de porter des jupes. Soit par pudeur, soit par sécurité parce qu’elle se coinçait dans les rayons ».

Une autre technique pour accrocher son pantalon. © Suzon et Suzette

Les deux associées ont donc décidé de créer « l’attache jupette », un élastique placé sous la selle qui permet de pincer la jupe et éviter qu’elle s’envole. Sur le site de « Suzon et Suzette », on trouve également le « serre-pantalon », un scratch qui entoure la cheville pour répondre aux interrogations de celles qui n’osent plus porter des pantalons larges à vélo. « Nous avons eu envie de jouer sur l’esthétisme, de proposer des accessoires jolis. Là nous sortons par exemple deux nouveaux coloris : le vert paillette et le léopard. Ça plait à nos clientes qui font attention à chaque détail ».

Des accessoires fabriqués dans leurs usines en France, dans la région Auvergne Rhône-Alpes. « Nous trouvions ça aberrant que ces accessoires soient fabriqués en Chine alors que le vélo est censé être un moyen de transport écologique », souligne Laetitia Cros.

Deux aimants, une solution

De l’autre côté de la France, à Nantes, Céline Demonfaucon a aussi confectionné son propre accessoire anti-coup de vent dès 2015, « la pince à jupe ». « Avec mon compagnon, Marc, nous roulions en tandem et c’était la galère car nous devions nous arrêter à chaque fois dès que j’avais un problème avec ma tenue », se souvient-elle. Grâce à deux aimants puissants, le « petit objet simple d’usage » transforme désormais la jupe en short. Encore faut-il comprendre comment cela fonctionne. « Cela peut mettre un peu de temps ».

La pince à jupe ©Le poupoupidou

Un concours Lépine et une médaille d’argent plus tard, Céline Demontfaucon a vendu plus de 35 000 « pinces à jupe », mais reste consciente de toutes les problématiques qu’il existe pour « faciliter l’usage du quotidien à vélo ». « Nous ne pouvons malheureusement pas répondre à toutes les questions autour de la mode et du vélo, parfois il faut ruser soi-même ».

Des partenariats plutôt que des vêtements

Comme beaucoup de cyclistes, Céline a en effet ses petites techniques « DIY » pour optimiser ses trajets. « Je me suis cousu un élastique pour maintenir mes pantalons », explique la co-fondatrice de l’Atelier Poupoupidou. Les moins manuelles peuvent se rassurer : il existe d’autres techniques plus ou moins robustes. Lise utilise un gros chouchou pour attacher son pantalon quand Coline préfère glisser le jean dans ses chaussettes.

Quelques marques ont tout de même de tenter de trouver des solutions. En vain. Il y a dix ans, la célèbre marque de jeans Levi’s lançait le modèle « Commuter Skinny » pour les cyclistes « qui veulent pouvoir pédaler à la ville sans faire de compromis sur le style ou se prendre le pantalon dans les chaînes huileuses », lisait-on dans le Journal des femmes. L’idée n’était pas mauvaise : une matière extensible, anti-odeur et taille haute. Sauf que ce modèle n’est aujourd’hui plus disponible à la vente. Et si finalement la raison de ce désintérêt venait des consommateurs, pas assez nombreux sur le marché à l’échelle d’une marque grand public.

Les marques préfèrent finalement plutôt nouer des collaborations avec les entreprises de vélo elles-mêmes. C’est l’exemple même, en 2023, des collaborations en édition limitée entre Isabelle Marrant et les vélos électriques Voltaire ou bien de la marque tendance Ba&sh avec les vélos Cowboy. Des partenariats de courte durée, mais bien plus efficaces en termes d’image de marque. Les cyclistes, elles, attendront pour espérer un trajet sans aucun accroc. 

*La nouvelle exposition La mode en mouvement se tient jusqu’au 12 octobre prochain au Palais Galliera

« Notre expérience, nos recommandations »

Dans notre cas, nous nous retrouvons bien évidemment dans les témoignages cités. Combien de fois avons-nous dû nous arrêter sur le bas côté d’un boulevard passant, réalisant qu’un bout de tissu s’était coincé dans la pédale ou que la ceinture de notre manteau s’était enroulé dans les rayons. Cette fois-là, d’ailleurs, j’avais évité de justesse un soleil avant de me réfugier dans un magasin spécialisé à 200 mètres, accrochée sans le vouloir à mon vélo. « Plus jamais ce genre de scène », répètera notre cerveau chaque matin avant de nous habiller et enfourcher notre vélo. Pourtant, chaque matin, les mêmes erreurs. Un jean trop large, un manteau trop long. Certains vêtements resteront au placard les jours à vélo.

Il nous reste toutefois quelques méthodes. Le gros chouchou pour accrocher le jean est une merveilleuse astuce, contrairement à la méthode de la chaussette qui glisse un peu trop souvent. Sinon le serre-pantalon Btwin chez Décathlon fait également l’affaire et ne coûte que 8 euros. Si on en préfère un plus stylé, aux coloris arc-en-ciel par exemple, le même existe chez Suzon et Suzette à 15 euros. Le seul défi reste de ne pas l’oublier chaque matin et de ne pas le perdre au fil de sa journée. 

Enfin, puisque les beaux jours reviennent et, avec eux, l’envie de porter des jupes, nous privilégions de notre côté le port d’un petit cycliste sous le vêtement, histoire de se sentir serein sur son trajet. Quant au petit bidon d’eau, il servira tour à tour à nous hydrater… ou à arroser les passants qui auraient décidé de nous dévisager sur le vélo.



Lina Fourneau est journaliste indépendante, toujours sur un vélo. Quand vous ne la voyez pas sur son électrique dans les rues parisiennes, c'est sûrement qu'elle s'est déjà évadé dans la nature sur son vélo de route.