Vélo et société

Le casque à vélo : un paradoxe mortel

Une étude statistique est formelle : on meurt plus à vélo avec un casque que sans. Faut-il pour autant bouder le casque ?

Cycliste portant un casque dans la circulation © Eduardo Enrietti (unsplash)

En bref :

  • Selon les statistiques, on meurt plus à vélo en France avec un casque que sans
  • Le casque serait plus associé à des pratiques à risque et pourrait engendrer un sentiment de sécurité accidentogène

Le casque. Cet objet de débat dont le monde du vélo ne se débarrassera vraisemblablement jamais. Pour preuve, une étude datant de 2021 portant sur la surmortalité des cyclistes casqués en agglomération a refait surface et a, immédiatement, donné lieu à des échanges animés sur les réseaux sociaux.

Rappel législatif, le port du casque à vélo n’est – en France – obligatoire que pour les moins de 12 ans et lors des compétitions sportives. Faudrait-il étendre cette obligation à tous les cyclistes en tous lieux et toutes circonstances ? Telle est, en filigrane, la question de fond posée par ce sujet controversé.

Si personne ne peut remettre en cause l’efficacité du casque pour réduire la gravité des traumatismes crâniens en cas de chute (de nombreuses études ayant fait l’implacable démonstration de son intérêt), ces statistiques tendent à démontrer que les cyclistes casqués ont plus d’accidents mortels que ceux qui ne portent pas de casque. Forcément, cela fait polémique.

Des biais statistiques pris en compte

Pour comprendre, il faut évidemment se pencher sur la méthodologie et analyser les chiffres présentés selon lesquels les cyclistes avec casque meurent 3 fois plus que ceux qui n’en portent pas. D’abord, signalons que cette étude s’appuie essentiellement sur des bases de données officielles dont la fiabilité peut être remise en cause.

En effet, les données sur le port du casque lors d’accidents (mortels ou non) renseignées par les forces de l’ordre sont très souvent incomplètes, surtout avant 2019 lorsque le système de saisie pouvait être trompeur dans sa formulation. Il est donc probable que le taux de port du casque soit biaisé, sans que l’on puisse savoir dans quelle proportion exactement. Mais même en « en assimilant tous les cas avec information manquante à des cas de non-port du casque (…) le facteur de surmortalité des cyclistes casqués serait encore de 1,4″, indique l’étude.

Ensuite, il faut savoir que ces chiffres sont calculés en s’appuyant sur les taux de port du casque à vélo en agglomération de l’ONISR (Observatoire national interministériel de la sécurité routière). Statistiques elles-mêmes issues d’une étude à la fiabilité imparfaite, basée sur des observations parcellaires dans 7 grandes villes. Selon cet observatoire, 22% des cyclistes portaient un casque en agglomération entre 2016 et 2018, 29% en 2019. Des habitudes qui, clairement, ont continué à évoluer en faveur du port du casque si l’on en croit nos observations en région parisienne, en toutes saisons et à toutes heures.

Pour autant, « malgré l’imprécision des deux sources de données statistiques nécessaires au calcul de la surmortalité, compte tenu de l’ampleur de la différence, il semble raisonnable d’admettre que le port du casque est corrélé à une fréquence d’accidents mortels nettement plus élevée que pour les cyclistes non casqués ». « L’analyse des risques de biais et des limites d’échantillonnage des bases de données utilisées montre que le sens de la conclusion ne serait pas inversé même dans les hypothèses extrêmes », prennent soin de préciser les auteurs.

Il n’y a pas que les traumatismes crâniens

Le casque est efficace pour réduire les traumatismes crâniens et il sauve des vies. Malgré cela, les cyclistes casqués sont victimes d’une surmortalité. Un étrange paradoxe qui laisse place aux analyses et interprétations, donc au débat – parfois houleux. Le plus probable est que « cette surmortalité soit liée à une fréquence d’accidents plus élevée chez les cyclistes casqués et affectant d’autres organes que la tête ».

En pratique sportive régulière – potentiellement plus accidentogène -, le casque s’est démocratisé © Coen van de Broek (unsplash)

Une analyse qui argue en faveur de cofacteurs de risques importants chez certaines populations portant, plus que les autres, un casque à vélo. Il s’agit des cyclistes sportifs, qui prendraient davantage de risque et passent beaucoup plus de temps sur les routes ; ainsi que des cyclistes débutants, aux comportements potentiellement plus accidentogènes.

Autre phénomène évoqué : l’atténuation de la vigilance des cyclistes portant un casque qui, inconsciemment, prendraient plus de risque en se sentant davantage en sécurité. Des études ont déjà démontré l’existence de ce sentiment qui concerne toutes les catégories de cyclistes.

Le casque ne fait pas tout en matière de sécurité à vélo

Faut-il donc arrêter de porter un casque pour réduire son risque de mortalité à vélo ? Ce serait évidemment une lecture absurde et trop simpliste de ces statistiques. Comme nous l’avons vu, les auteurs de cette étude pouvant paraître à charge reconnaissent eux-mêmes la très grande efficacité du casque pour réduire les risques de traumatismes crâniens.

Pour autant, ils relatent factuellement une réalité : entre 2016 et 2019, les cyclistes portant un casque ont été victime d’une surmortalité importante par rapport à ceux n’en portant pas. Ils regrettent par ailleurs que le sentiment de sécurité véhiculé par le port du casque ait pu être « amplifié en France par le
contenu des campagnes de communication nationales »
sur son utilisation. Autrement dit, plus on montrerait aux gens que le casque réduit le risque de blessure à la tête en cas d’accident, plus ils se sentiraient en sécurité en en portant un.

Une campagne pour le port du casque à vélo, à l’initiative du groupement hospitalier de Charente.

C’est, finalement, tout à fait logique. Mais dire que ces campagnes sont contreproductives n’aurait – là encore – pas beaucoup de sens. En revanche, ce qui nous semble important à signaler, c’est que ces campagnes sont clairement incomplètes dans les messages envoyés. Ne devraient-elles pas, aussi, insister sur les bons comportements à adopter par les cyclistes ET les autres usagers de la route – en vue de les faire cohabiter en sécurité sur les axes de circulation ?

On voit, par exemple, très peu d’information sur l’intérêt d’être bien visible à vélo, de jour comme de nuit, à l’aide de vêtements réfléchissants ou de lumières adaptées. On rappelle d’ailleurs que « le port d’un gilet rétro-réfléchissant certifié est obligatoire pour tout cycliste, et son éventuel passager, circulant hors agglomération, la nuit, ou lorsque la visibilité est insuffisante ». Catadioptres et feux de position font, eux-aussi, partie de la liste des équipements obligatoires, aux côtés de la sonnette.

A ne pas éluder, non plus, le fait que rendre obligatoire le port du casque – qui est vécu comme une contrainte par certains – peut mener à une diminution de la pratique du vélo (d’autant plus pour les programmes de vélos en libre-service dans les villes).

Des tensions à apaiser

Malheureusement, le casque est et restera une protection bien mince lorsque l’on est exposé à des véhicules beaucoup plus lourds, rapides et résistants. Comme le caricaturent certains, « un morceau de polystyrène ne pourra pas grand chose face à un cube de métal de 1,5 tonne lancé à vive allure ».

Vue la teneur des échanges quotidiens – et de plus en plus musclés – entre automobilistes et cyclistes, il nous semble plus que jamais essentiel de mener campagne pour apaiser les esprits et pousser des comportements plus responsables. Surtout à un moment où – nous en sommes persuadés – le vélo va continuer à s’imposer et être de plus en plus présent dans la société.

Il ne faut pas oublier que d’autres facteurs que le port du casque jouent directement sur la mortalité à bicyclette. Certains pays où le vélo est très développé nous en font la démonstration, comme les Pays-Bas où le casque est peu porté mais où les comportements et les habitudes sont bien différents.

Besoin d’infrastructures dédiées

Surtout, cet exemple précis démontre que les infrastructures routières adaptées sont la meilleure sécurité dont peuvent rêver les usagers du vélo, avec si possible des pistes cyclables séparées de la chaussée et non de simples bandes de peinture en misant sur le respect du code de la route (l’occasion de rappeler qu’un conducteur ne doit pas s’approcher d’un cycliste à moins d’1 mètre en agglomération, et 1,5 mètre en dehors).

Bonne nouvelle, les collectivités n’ont jamais autant investi dans le déploiement de réseaux cyclables. En 2022, « 62% des collectivités ont voté en faveur d’au moins une délibération favorable à la pratique du vélo », pour des projets correspondant à 28 000 km d’aménagements cyclables (qui seront trop peu souvent de vraies pistes…) et la création de 480 000 places de stationnement. Il y a encore beaucoup à faire, mais les choses semblent enfin vouloir accélérer en répondant à une demande de plus en plus forte des usagers.

Une voie cyclable australienne qui laissera rêveurs bon nombre de cyclistes © Enguerrand Blanchy (unsplash)

Plus il y aura de cyclistes, plus il y aura besoin de voiries adaptées. Et plus il y aura de pistes cyclables, plus il y aura de trajets réalisés à vélo. (Les cyclistes étant aussi potentiellement des automobilistes, cela pourra aussi favoriser des comportements plus respectueux…). Le fameux Win-Win.

  • Mis à jour le 31 juillet 2023

En banlieue parisienne, ce quadra père de 2 enfants pratique le vélo au quotidien de manière (assez) sportive, sur route et en dehors. A des envies de longues randonnées à la découverte de nouveaux paysages.

Les commentaires sont fermés.